Quand on est ecommerçant, ou commerçant tout court, et que l’on a quelque ambition à prétendre être un acteur dominant du marché du ecommerce, on ne peut qu’admirer la réussite du géant de Seattle (le deuxième géant, puisque le premier, c’est Microsoft). Une présence dominante incontournable, de l’innovation, de l’innovation encore et toujours, des services toujours plus étendus et une boutique qui ne cesse de grandir dans tous les domaines !
Certes, mais dominer le ecommerce, comme le fait outrageusement Amazon a une contrepartie. Et elle est de plusieurs ordres.
Amazon, la pieuvre de Seattle
De l’ordre de la distorsion de concurrence, puisque le siège d’Amazon en Europe est situé au Luxembourg et fait que la compagnie qui vend en France bénéficie des avantages fiscaux de ce petit pays, certes européen dans les gènes, mais en réalité un eldorado fiscal pour qui veut facilement contourner les réglementations du vieux continent.
De l’ordre de la logique de marché tout court. Il serait bien qu’Amazon ait un concurrent à sa hauteur, mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Et cela engendre de nombreux dysfonctionnements sur lesquels il faudrait réellement s’interroger.
1) Amazon tue-t-il la concurrence ?
Une chose est certaine, en offrant, par exemple, les frais de port gratuits, comme il le fait pour ses abonnés Premium, Amazon ne respecte pas les lois du marché. En fait, il est impossible de ne pas payer les frais de ports en ecommerce. Il existeront toujours. Amazon les prends donc à sa charge, parce qu’il en a les moyens et surtout parce qu’il espère tuer le marché en profitant de l’avance que lui offre cette fameuse gratuité.
Pareil pour le service. Pour qui l’a testé, le SAV d’Amazon est tout simplement excellent, mais il a un coût, qui découle purement d’une stratégie de « tuer » le marché. « On vend d’abord, on verra après. » Tandis que la concurrence vend, mais si elle se sent capable d’assurer le SAV après, ce qui fait une grosse différence auprès des clients.
2) Amazon crée-t-il de l’emploi ?
Si Amazon crée de l’emploi, c’est majoritairement de l’emploi sous qualifié. Ce sont les petites mains qui travaillent dans les entrepôts et les « contremaitres » qui s’assurent que le travail est bien fait. Car, en réalité, Amazon n’est rien de plus que le fruit de l’imagination des ingénieurs. Si on pouvait comparer la compagnie américaine à quelque chose, ce serait à un automate presque parfait. Autrement dit, une armée d’ingénieurs au service d’une organisation parfaite vue comme un programme informatique. Il n’y a pas d’autre plus value là dedans autre que celle de faire tourner parfaitement une machine. Ce n’est pas si mal, mais ça a un impact direct sur l’emploi en déqualifiant une partie des gens qui travaillaient ou qui travaillent encore dans la grande distribution spécialisée. Et d’ailleurs, cette donnée est à prendre au niveau mondial. Amazon a sûrement fait plus de mal encore aux Etats-Unis qu’en Europe.
Globalement, je crois surtout qu’il a concentré les moyens de distribution de tout un tas de produits entre les mains de quelques actionnaires (qui se les frottent bien, les mains), mais qui n’ont créé de richesse réellement que pour eux (bien évidemment, c’est là toute la logique capitaliste que je ne veux pas remettre en question, mais quand on est à un tel niveau de concentration, il y a de quoi se poser des questions).
3) Amazon aide-t-il les consommateurs ?
Pas vraiment non plus. L’offre disponible sur Amazon était ou est déjà disponible ailleurs. Ce n’est pas parce que vous donnez accès à des millions d’ouvrages écrits (pour ce qui concerne les livres) que les gens vont lire plus ou être plus intelligents. Ils vont juste pouvoir se servir seuls et trouver quelque chose pour qui ils devaient passer par un libraire pour le trouver. Mais est-ce mieux ? Pas forcément. L’accès à une offre pléthorique n’est aucunement la garantie d’une meilleure jouissance de la vie et d’un plus grand bonheur. Comme aurait dit Barry Schwarz dans the Paradox of choice, c’est même peut être pire. Et, facteur supplémentaire, Amazon n’a pas non plus engendré une baisse des prix au service du consommateur (Mais là encore, on pourrait discuter cet argument. Baisser les prix à outrance finit aussi par avoir un coût inverse sur la consommation et les revenus des consommateurs).
On peut encore une fois saluer la réussite de Jeff Bezos qui est une sorte de visionnaire dans le domaine du ecommerce, mais il faut aussi mettre des bémols. Amazon est une formidable machine, mais elle a un coût. Des emplois détruits aux Etats-Unis (voyez la chute de Barnes &Noble), mais aussi certainement en Europe. Un modèle économique à court terme, car rien ne garantit qu’il puisse fonctionner dans le long terme. Un service formidable mais au coût exorbitant qui n’est masqué que par une logique d’agression et de destruction de la concurrence (dans la logique guerrière d’un GW Bush : « On est avec ou un on est contre Amazon » / cf la place de marché).
Pour qu’Amazon continue à se développer sans entraver le marché, il lui faudrait un ou deux bons concurrents. L’imposition de respecter les règles du jeu européen. La promesse et la garantie que les emplois créés mène à des emplois plus qualifiés.
Je rêve, me direz-vous ? Est-ce que des acteurs comme Cdiscount peuvent apporter ce contrepoids ? Tant de questions qui se posent …
Laisser un commentaire